C’est l’histoire d’un homme qui part au milieu de nul part pour trouver sa place dans le monde.
Le récit de la vie de Bruno Manser fait tellement sens aujourd’hui. A l’heure où chacun devrait s’interroger sur la cohérence entre son souhait de sauver la planète, sa consommation, la manière de gagner sa vie, l’exemple de Bruno Manser nous rappelle le besoin fondamental de liberté, d’authenticité et de sens.
C’est également l’histoire d’un peuple libre, soudain soumis à la soif capitaliste du pouvoir politique en place, au prix du massacre de notre Terre comme de ses habitants.
Il faut aller voir ce film pour se rappeler que le sort de notre planète ne se défend pas seulement en agitant quelques banderoles et en scandant des slogans. Il s’agit d’incarner nos convictions à travers nos actes quotidiens. Ne jamais renoncer. Manifester quelques heures au long de son existence ne suffit pas. Les actes au-delà des paroles. Ne pas penser non plus que les solutions viendront des politiques, mais bien se rappeler que NOUS sommes les solutions. Individuellement et collectivement. Défendre ses choix … quel que soit le prix à payer.
Sarawak: une jungle d’amertume
Ce film fait particulièrement sens pour moi, car j’ai visité cette jungle primaire dans les années nonante. A l’époque, je n’avais pas conscience d’être l’instrument d’un gouvernement qui souhaitait se racheter une bonne conscience. Voir ce film a redonné toute sa pertinence à la profonde amertume qui avait marqué ce voyage à l’époque.
J’ai dormi dans la jungle au Sarawak (état de Bornéo) chez une autre tribu : les Ibans (coupeurs de tête et tribu majoritaire du Sarawak). Ce ne sont pas ceux du film, mais eux aussi, étaient en voie de sédentarisation, au service du tourisme. A l’époque, j’ai eu un mémorable conflit avec ma mère, agent de voyage et invitée principale de ce voyage. Je revois la scène comme si c’était hier : Moi assise sur la berge de la rivière, me demandant ce que je faisais là. Elle en train de se baigner dans la rivière vêtue d’un simple sarong. Moi, lui disant tout ce que je pensais du tourisme de masse et des méfaits de notre civilisation. Elle, imperturbable, restait convaincue du bien fondé de sa présence ne voyant pas le mal d’amener des touristes dans cet endroit presque encore vierge.
Je trouvais cette rencontre si factice que cela m’ ecoeurait. La guide nous avait fait acheter des chips sur la route en nous précisant que c’était les préférés du chef de la tribu Iban. Et à partir de là, nous avions enchaîné les heures de route, de pirogue et de marche. Pour arriver dans la hutte commune de la tribu à boire de l’alcool de riz maison. Et nous sourire, à défaut de pouvoir nous parler.
Ce sont les chips, je crois qui m’ont fait remettre en question la valeur de ce que nous pouvions apporter à ces peuples. L’apport de notre civilisation dite moderne se résume à: coca-cola, chips et télévision ???? C’est vraiment nécessaire ? Où est l’échange ? Est-ce qu’on ne ferait pas mieux de repartir sur la pointe des pieds? J’avais le sentiment que le simple fait d’être là les condamnait à disparaître. Toutes leurs traditions séculaires et leur habitat contre … des chips bourrés de graisses trans et du coca-cola. Waouh.
J’avais envie de repartir, car je pensais sincèrement que le meilleur cadeau à leur faire était de disparaître de leur vie et de les laisser seuls avec leur forêt. Détruire la télévision du chef en partant. Préserver leur environnement. Les protéger de notre société et de ses absurdités. J’avais perçu cette fragilité infinie.
Je me souviens aussi avoir eu le cœur déchiré en constatant depuis le ciel, ces immenses tonsures au beau milieu de la jungle : la déforestation. Un immense jeu de massacre à grande échelle. Effrayant.
Grâce au film, je comprends encore mieux à quels étaient les enjeux pour que l’état entreprenne des démarches de séduction pour convaincre la planète entière de leur bonnes actions envers les tribus vivant dans la forêt en leur offrant la télévision ainsi que le soi-disant cadeau de la sédentarisation.
David contre Goliath
Après deux semaines passées à visiter le pays, je n’ai jamais eu le sentiment qu’il puisse y avoir une issue favorable tant la croissance économique semblait le seul objectif de nos interlocuteurs. Un pays en mal de croissance et de pouvoir, exploité voire pillé par les commerçants chinois et quelques politiciens pour satisfaire les absurdes caprices consuméristes de l’Europe et des Etats-Unis.
Dans la balance : les tribus indigènes, des arbres séculaires, la faune et la flore. Mais rien ne semblait pouvoir freiner cette soif d’argent et de pouvoir.
Brun Manser, amoureux de la Nature a dédié sa vie à ce combat. Avec des résultats peut-être mitigés. Mais peut importe… quel exemple de courage, de cohérence et de pugnacité. Son œuvre s’inscrit dans la durée et se poursuit aujourd’hui ( voir lien ci-dessous).
Et mes amis de la forêt ?
L’homme de la forêt se dit « Orang Utan ». Ce grand singe qui partage 97 % de notre capital génétique est si… humain. Lui aussi figure sur la liste des victimes.
L’avidité, la méchanceté et la soif de pouvoir seraient les trois pourcents qui nous séparent en terme de génétique? Sinon, quoi d’autre?
En tout cas, ils savent mieux vivre en groupe que nous et respectent mieux leur environnement.
Le point commun entre Bruno Manser et les Penan et qui nous fait crucialement défaut aujourd’hui ? L’authenticité, la cohérence, une certaine forme de naïveté.
Pourvu qu’il y ait un peu de Bruno Manser en chacun de nous et que cette partie puisse s’éveiller et se révéler un peu plus chaque jour. Redevenons un peu naïfs, utopistes et croyons en nos rêves.
Ne dit-on pas que c’est en se changeant soi-même que l’on peut changer le monde ?
Joyeux Noël à tous.
#oneness
PS : lors de ce voyage, je me souviens que j’écoutais cet album en boucle :
I don’t know – Noa
Et peut-être plus d’actualité sur le même album:: Ave Maria